06/05/2012
Les Titans et les Dieux
Mon Paganisme n’a rien de spiritualiste ni de mystique ; il est charnel, vécu, je dirais : poétique et totalement personnel. Mon itinéraire est tout sauf « spirituel », mais purement sensuel. La richesse du Paganisme, que ne possède aucune autre « religion », c’est qu’on y trouve une extraordinaire pluralité de sensibilités : du Paganisme des bois et de l’enracinement, à celui du déchaînement de la technoscience ; du Paganisme des brumes de la lande à celui des divinités du feu solaire. Du Paganisme des fontaines et des nymphes à celui du bruissement sourd des batailles, de celui du chant des fées ou du galop des lutins dans les sous-bois, à celui du tonnerre des réacteurs, de celui des grands Dieux tutélaires à celui des lares. Mais le génie du Paganisme, c’est de rassembler dans une totalité cosmique et organique l’ensemble des passions humaines, avec leurs misères et leurs grandeurs. Le Paganisme est bien le miroir du monde vivant.
Je n’ai jamais été attiré par les textes ésotériques, les élans mystiques, les recherches et les discours sur la symbolique. Pour moi, le Paganisme est d’abord poésie, esthétique, exaltation et intuition. En aucun cas théorie, chapelle ou instrumentalisation.
C'est du Paganisme grec et romain que je me sens le plus proche. Il marqua toute mon éducation, d'autant plus que j'ai fait dix ans d'études gréco-latines et que j'étais capable (ce que je ne puis plus faire actuellement, sed nihil obstat quibus perseverant) de lire à peu près dans le texte Ovide ou Xénophon. Bien entendu, j'ai beaucoup de connivence et de sympathie pour les sensibilités païennes celtiques, germaniques, scandinaves et indiennes, qui sont tout aussi riches. Je regrette de mal connaître l'Hindouisme, le plus important Paganisme vivant d'aujourd'hui, mais j'aimerais combler cette lacune.
Je me souviens du Serment de Delphes, prononcé sur le site sacré, devant la Stoa, au début des années quatre-vingts, au petit matin, par un aréopage de jeunes Européens. Il fut prononcé à l'instigation de Pierre Vial et de notre défunt ami grec Jason Hadjidinas. Il y avait là des Européens de toutes les nations de notre Maison commune. Toute ma vie, je resterai fidèle à ce serment. Ce fut une intense émotion, une émotion religieuse. Ce serment avait pour objet d’agir concrètement, dans le monde, pour les valeurs païennes.
La « spiritualité » désincarnée m’a toujours semblé très ennuyeuse, tout simplement peut-être parce que je ne la comprends pas. D’Evola, je ne retiens que les passages sociologiques et politiques, mais « l’évolianisme » m’a toujours paru déplacé et les textes de Guénon (d’ailleurs converti à l’Islam) totalement abscons. Mon Paganisme, essentiellement apollinien et dionysiaque, est l’inverse d’une attitude méditative ; il est intuitif, fasciné par le mouvement, l’action, l’esthétisme de la puissance (et non pas de la prière). C’est pour moi l’essence même de la force vitale, du vouloir-vivre. La vie est l’efficacité, la production historique. L’histoire retient les res gestae, les actes, pas la contemplation abstraite et dandy pour des théories inutiles, balayées par l’oubli. Seul le faire est efficace et, seul, il est le but de la pensée comme des mouvements esthétiques de l’âme.
Le principal danger qui guette le Paganisme, c’est l’intellectualisme de la gratuité, la « pensée » idolâtrée pour elle-même, desséchée et abstraite, para-universitaire, déconnectée du réel et des impératifs de l’urgence. Le Paganisme n’est ni dissertation savante, ni « connaissances » froides, mais attitudes pour l’action. Pour moi, il est immersion dans la vie, pratique qui transforme le monde. Ce ne sont jamais les mots qui comptent d’abord, ni les idées, mais les actes concrets auxquels ces idées et ces mots conduisent. Une idée n’est pas intéressante parce qu’elle est brillante en elle-même, mais si elle donne lieu à une modification d’un état de fait, à une incarnation dans un projet : tel est le centre de l’épistémologie païenne; à l’inverse de l’épistémologie judéo-chrétienne, où l’idée ne vaut qu’en elle-même, où les contingences matérielles, l’urgence, le réel sont méprisés. J’ai toujours été frappé par le fait que les Paganismes gréco-latin, germanique, ou celtique, n’avaient rien de méditatif ou de contemplatif. Ils étaient éminemment actifs, politiques et guerriers.
Plusieurs Judéo-Chrétiens qui s’ignorent pensent, de manière tout à fait biblique, que la volonté de puissance est un péché contre Dieu, un défi, et que, selon l’enseignement des bons Pères, la seule puissance acceptable serait « l’empire intérieur », dématérialisé. Cette vision suppose que le monde obéit au dualisme: d’un côté le « spirituel », le sacré, la méditation ; de l’autre le vulgaire profane, englué dans une frénésie absurde de domination, de calculs, de batailles, de stratégies. Je prétends au contraire que le matérialisme et le sens du sacré sont intimement liés dans le Paganisme, « matérialisme » n’étant évidemment pas confondu avec consumérisme.
Une autre chose très étrange m'a rendu « païen » sans le formuler, quand je replonge dans les mystères de ma petite enfance. C'est la fascination pour la nature sauvage, plus exactement pour la forêt, la mer et la montagne. Une simple anecdote, assez curieuse : jeune adolescent, j'avais coutume de traverser à pied une des plus belles forêts d’Europe, la forêt de la Coubre, dans mon pays natal, en Saintonge. Une immense étendue de pins et de chênes torturés par le vent. Plus on s'approche de la mer, plus on entend et plus l'on sent le hululement d’Eole — le redoutable suroît — et l'aboiement rageur de l'océan atlantique. Puis, on escalade une dune, où les derniers pins se meurent, rongés par le sel et les rafales. Et d'un coup, éclate la splendeur de Poséidon: une splendeur sauvage, menaçante, indifférente aux lamentations humaines. Des vagues énormes qui explosent en rugissant, des tourbillons qui bruissent, une interminable côte de sable blanc et les panneaux inscrits en rouge : « baignade interdite ». J’ai toujours été fasciné par ce côté sauvage et menaçant de la nature, où la beauté pure cache un terrible danger, la morsure des Dieux.
Mais, dans cette vision païenne du monde, je suis également attiré par les villes colossales et par l’architecture monumentale d’affirmation et de puissance, d’esthétique et de force harmonieuse : Versailles, le Taj-Mahal, la cathédrale de Strasbourg ou d’Ulm, l’école architecturale allemande de Chicago, le néo-classicisme des années 30, la brutale beauté d’un sous-marin nucléaire ou d’un avion de combat, etc. C’est l’assomption de la puissance et de l’ordre, qu’elle émane de la nature ou de l’homme, qui façonne mon Paganisme personnel. Ma démarche n’a donc jamais été fondée sur la réflexion sèche, ni sur une quelconque extase mystique, mais plutôt sur l’émotion directe. Un ami chrétien m’a « accusé » un jour de « Paganisme onirique ». Il avait raison, sans voir que les rêves des hommes sont peut-être les messages des Dieux. Voilà bien longtemps que ces derniers ont inventé internet…
« Les Titans et les Dieux »
Entretien avec Guillaume Faye
Propos recueillis par Christopher Gérard
Entretien paru dans « Antaios XVI », équinoxe de printemps 2001.
16:01 Publié dans Blog, Philosophie, Rome et Olympie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : les titans et les dieux, guillaume faye, antaios
Commentaires
Ce texte est une version raccourcie de l'entretien paru originellement dans la revue : G.Faye mettait dans le même sac Descartes, Montaigne et Bergson qu'il opposait à toute une liste de penseurs allemands (dont Simmel). Compte tenu de la teneur vitaliste des réponses que Faye donne à C.Gérard tout au long de l'entretien , on ne comprend pas vraiment pourquoi il déprécie Bergson, philosophe auquel K.Albert attribue la même importance dans l'émergence de la Lebensphilosophie que Dilthey et...Nietzsche si vénéré par notre ami Faye.
Écrit par : CdC | 08/06/2012
Ce texte est une version raccourcie de l'entretien paru originellement dans la revue...
>>> Effectivement, je me suis contenté d'un ( court ) "morceau choisi" !
Ceux et celles qui veulent découvrir l'entretien dans sa totalité peuvent le faire ici :
http://editions-hache.com/essais/faye/faye1.html
On ne comprend pas vraiment pourquoi il déprécie Bergson...
>>> Peut être que, comme moi, il n'est pas un grand fan de petites phrases du genre : « Mes réflexions m'ont amené de plus en plus près du catholicisme où je vois l'achèvement complet du judaïsme. Je me serais converti si je n'avais vu se préparer depuis des années […] la formidable vague d'antisémitisme qui va déferler sur le monde. J'ai voulu rester parmi ceux qui seront demain des persécutés. Mais j'espère qu'un prêtre catholique voudra bien, si le Cardinal archevêque l'y autorise, venir dire des prières à mes obsèques. » ( Bergson )
Mais bon, j'admets volontiers que ce serait ( néanmoins ) dommage de passer à côté de certaines œuvres ( et de la pensée ) de Bergson pour autant !?! ( Même si... )...
( Bel exemple d'opposition entre "culture objective" et "culture subjective", d'ailleurs, pour faire un clin d'œil à Simmel ! Un païen peut-il rejeter Bergson pour de simples motifs religieux ou bien doit-il faire abstraction de cet aspect pour n'en garder que la "pensée pure" ? Et même si oui... ne doit-il pas - néanmoins - garder à l'esprit que ladite pensée est forcément influencée par le côté "religieux" du personnage ? )
Enfin bon... dans le cas présent, je ne sais pas trop...
Une de ces nombreuses "contradictions" chères à Guillaume Faye !?! ( Hé! hé! )...
( Ne termine-t-il d'ailleurs pas l'entretien en question par ces mots : « J’ai parfaitement conscience que mes réponses recèlent de multiples contradictions. Mais, je ne cherche pas à être mécaniquement cohérent. Je ne prends pas fort au sérieux ces penseurs entomologistes qui débusquent les contradictions chez les autres. Toute création est le résultat de contradictions, toute pensée vibre au sein d’un nœud de vipères. » !?! )...
Merci de m'avoir fait repenser à Simmel en tous cas...
Je vais m'y replonger... et tâcher de mettre quelques-une de ses pensées en ligne.
( Même si, lui aussi, aime à accumuler les contradictions ! Ha ha )...
Et euh... bienvenue en ces lieux à l'amateur de Philosophie que tu sembles être ?!
Discipline ô combien "en mal d'affection" en notre si futile et triste époque !
Mais autour de laquelle il est toujours agréable d'échanger !
Écrit par : Kurgan | 08/06/2012
Peut être que, comme moi, il n'est pas un grand fan de petites phrases du genre : « Mes réflexions m'ont amené de plus en plus près du catholicisme où je vois l'achèvement complet du judaïsme. Je me serais converti si je n'avais vu se préparer depuis des années […] la formidable vague d'antisémitisme qui va déferler sur le monde. J'ai voulu rester parmi ceux qui seront demain des persécutés. Mais j'espère qu'un prêtre catholique voudra bien, si le Cardinal archevêque l'y autorise, venir dire des prières à mes obsèques. »
>>> Ce n'est pas très important étant donné que l'essence de sa propre philosophie contredit totalement ce qu'il était en tant que personne sociale. Je ne vais pas par exemple nier le fait qu'il y ait des svastikas paiennes au symbolisme vitaliste circulaire sur les murs du coeur de l'église de Rabastens ou sur le sol de la cathedrale d'Amiens sous pretexte que je suis dans les deux cas dans un édifice chrétien
Un païen peut-il rejeter Bergson pour de simples motifs religieux ou bien doit-il faire abstraction de cet aspect pour n'en garder que la "pensée pure" ? Et même si oui... ne doit-il pas - néanmoins - garder à l'esprit que ladite pensée est forcément influencée par le côté "religieux" du personnage ? )
>>> à mon humble avis, oui, il doit faire complètement abstraction. Pour ma part je n'ai jamais ressenti dans les écrits de Bergson l' influence du judaïsme que je n'ai resssenti celle du protestantisme dans le Holism and Evolution de J.C Smuts. Je le redis : leur philosophie contredit ce qu'ils étaient ou disaient en tant que membres d'une société (ou/et de réseau(x)) donné(s).
« je ne cherche pas à être mécaniquement cohérent. Je ne prends pas fort au sérieux ces penseurs entomologistes qui débusquent les contradictions chez les autres. Toute création est le résultat de contradictions, toute pensée vibre au sein d’un nœud de vipères. » !?! )...
>>> j'adhère complètement autant que j'adhère au vitalisme d'un penseur semite, chrétien musulman ou athée malgré mon exécration des religions du livre et de l'esprit maçonnico-laïcard
bienvenue en ces lieux à l'amateur de Philosophie que tu sembles être ?!Discipline ô combien "en mal d'affection" en notre si futile et triste époque !
Mais autour de laquelle il est toujours agréable d'échanger !
Merci Kurgan. Oui il est toujours agréable d'échanger
Écrit par : CdC | 15/06/2012
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