08/10/2013
Pour venger A.D.G
Venant tout juste de me re-re-re-lire un certain "Pour venger Pépère"…
D'un non moins certain A.D.G…
Je me suis rendu compte, avec horreur et consternation, que nous n'avions pas encore - ne serait-ce qu'une humble et misérable fois - causé dudit A.D.G au sein de ce blog !?!!
Alors "hop", je répare de ce pas cette hérésie, vous colle (ci-dessous) la bannière (et le lien) menant au blog "Pour venger A.D.G" (tenu par L'association des amis d'A.D.G)…
Puis, un peu plus bas encore, trois petits (mais excellents) articles (glanés sur le net) ; en espérant que tout ceci donnera envie, à ceux et celles qui ne connaissent pas encore "notre hussard du jour" d'en savoir plus…
Mais aussi (et surtout) de se plonger dans ses écrits.
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"J'ai souvent entendu dire que le cancer est une maladie longue et douloureuse. C'est surtout une maladie chiante", disait ADG à Libération il y a un an tout juste. Le "foutu crabe" a finalement eu raison du romancier, dans la nuit de lundi à mardi, à Paris.
Né un 19 décembre (comme Manchette) 1947, ADG était revenu sur la scène littéraire en 2003, avec Kangouroad Movie à "La Noire" (Gallimard), après un silence de près de quinze ans. Les amateurs n'avaient pas oublié ce drôle de type gouailleur, provocateur dans l'âme et le plus politiquement incorrect de tous les auteurs de polars. Reporter à Minute, secrétaire général de rédaction du Rivarol, ami intime de Le Pen et abonné aux fêtes Bleu-Blanc-Rouge, ADG avait "cessé d'être fréquentable" au début des années 80. Auparavant, il avait été l'alter ego de Jean-Patrick Manchette et l'un des principaux artisans du néopolar français.
C'est Roger Giroux, traducteur de Lawrence Durrell, qui le découvre en 1971 et qui l'incite à publier son premier roman à la Série Noire, la Divine surprise, à quelques semaines d'intervalle avec la sortie du premier Manchette, l'Affaire N'Gustro. L'année suivante, trois romans signés ADG paraissent, toujours en Série Noire : la Marche truque, les Panadeux et la Nuit des grands chiens malades, première incursion dans l'univers rural de Touraine, son pays natal. L'irruption du roman noir dans les humides contrées berrichonnes, où les personnages ne boivent pas du Bourbon mais du Montlouis, lui vaut un succès immédiat. Son style aussi, en héritage direct les Simonin, Blondin, Malet et, naturellement, Céline, fait merveille. L'année suivante, il publie Berry Story, la suite des aventures des croquants Berrichons aux prises avec une communauté hippie. Dans la foulée, il enchaîne avec un de ses probablement meilleurs romans, L'otage est sans pitié, où un directeur de banque se séquestre lui-même pour cambrioler son établissement, et surtout Je suis un roman noir, déambulation d'un auteur de roman policier rattrapé par la noirceur de son univers.
Entre-temps, ADG aura eu le loisir de régler ses comptes avec ses racines dans le Grand Môme, suite explicite du Grand Meaulnes d’Alain Fournier. Il faut dire que le vrai nom d’ADG est Alain Fournier. Une preuve d’humour un peu particulière de ses parents (de gauche) qui conduira le jeune Alain à, en premier lieu, prendre un pseudonyme (Alain Dreux Galloux, initiales ADG), puis à s’engager comme enfant de troupe "pour les emmerder" et enfin au FN.
Durant ces années prolixes, celui qui se définit lui-même comme "un réac pur et dur" se forge une réputation d'infréquentable. Dans les années 80, brouillé avec la plupart de ses amis de gauche, il pousse le bouchon jusqu'à se fâcher aussi avec ses amis d'extrême droite. Après une engueulade homérique avec la quasi-totalité de la rédaction de Minute, il plaque tout et part en Nouvelle-Calédonie en 1981, où il tombe amoureux à la fois du pays et d'une jeune femme du coin. Là, il découvre le Far West. "Il y avait les cow-boys, les Indiens et même le 7e de cavalerie…". De là-bas, il n'a aucun mal à vendre à son ami Louis Nucéra, alors directeur de collection chez Lattès, un projet de saga de la Nouvelle-Calédonie, le Grand Sud. Dès les premiers événements, il en abandonne l'écriture, après publication d'un premier tome, pour créer un hebdomadaire anti-indépendantiste. Cet organe de presse douteux lui vaut la haine de la moitié de l'île, et ses trois autres romans, pas très bons selon l'auteur lui-même, lui ferment définitivement les portes des maisons d'édition parisiennes.
Colère. Il ne remet les pieds en métropole qu'en 1991. Un divorce douloureux en cours, une dépression épaisse comme un ciel d'hiver en Touraine et, pour finir, le diagnostic d'un cancer. S'il décide de se remettre à écrire, c'est sur un coup de colère. Quand Gallimard célèbre le cinquantenaire de la Série Noire, il est l'un des rares à ne pas avoir été réédité. "Un comble pour un gars qui est toujours resté fidèle à la collection". Il se lance alors dans Kangouroad Movie, périple australien poilant. "J'avais décidé de fabriquer une supercherie : un polar australien que j'aurais découvert et traduit. Une fois le texte publié, j'aurais annoncé que j'en étais l'auteur. Comme ça, pour les emmerder".
Il y a un an tout juste, ADG parlait de se réacclimater à la France, de réapprendre son écriture. Il parlait d'un prochain roman où il voulait faire mourir son premier héros, Sergueï Djerbitskine, alias Machin : "Je me suis fâché avec l'ami dont je me suis inspiré pour le personnage. Je lui réserve un chien de ma chienne. Pour l'emmerder". Le roman ne verra sans doute jamais le jour, mais la mort d'ADG nous emmerde bien.
Bruno ICHER, "Mort d'un emmerdeur".
Libération, mercredi 03 novembre 2004.
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L'insolence des anarchistes de droite.
Les anarchistes de droite me semblent la contribution française la plus authentique et la plus talentueuse à une certaine rébellion insolente de l’esprit européen face à la "modernité", autrement dit l’hypocrisie bourgeoise de gauche et de droite. Leur saint patron pourrait être Barbey d’Aurévilly (Les Diaboliques), à moins que ce ne soit Molière (Tartuffe). Caractéristique dominante : en politique, ils n’appartiennent jamais à la droite modérée et honnissent les politiciens défenseurs du portefeuille et de la morale. C’est pourquoi l’on rencontre dans leur cohorte indocile des écrivains que l’on pourrait dire de gauche, comme Marcel Aymé, ou qu’il serait impossible d’étiqueter, comme Jean Anouilh.
Ils ont en commun un talent railleur et un goût du panache dont témoignent Antoine Blondin (Monsieur Jadis), Roger Nimier (Le Hussard bleu), Jean Dutourd (Les Taxis de la Marne) ou Jean Cau (Croquis de mémoire). A la façon de Georges Bernanos, ils se sont souvent querellés avec leurs maîtres à penser. On les retrouve encore, hautains, farceurs et féroces, derrière la caméra de Georges Lautner (Les Tontons flingueurs ou Le Professionnel), avec les dialogues de Michel Audiard, qui est à lui seul un archétype.
Deux parmi ces anarchistes de la plume ont dominé en leur temps le roman noir. Sous un régime d’épais conformisme, ils firent de leurs romans sombres ou rigolards les ultimes refuges de la liberté de penser. Ces deux-là ont été dans les années 1980 les pères du nouveau polar français. On les a dit enfants de Mai 68. L’un par la main gauche, l’autre par la main droite. Passant au crible le monde hautement immoral dans lequel il leur fallait vivre, ils ont tiré à vue sur les pantins et parfois même sur leur copains.
À quelques années de distances, tous les deux sont nés un 19 décembre. L’un s’appelait Jean-Patrick Manchette. Il avait commencé comme traducteur de polars américains. Pour l’état civil, l’autre était Alain Fournier, un nom un peu difficile à porter quand on veut faire carrière en littérature. Il choisit donc un pseudonyme qui avait le mérite de la nouveauté : ADG. Ces initiales ne voulaient strictement rien dire, mais elles étaient faciles à mémoriser.
En 1971, sans se connaître, Manchette et son cadet ADG ont publié leur premier roman dans la Série Noire. Ce fut comme une petite révolution. D’emblée, ils venaient de donner un terrible coup de vieux à tout un pan du polar à la française. Fini les truands corses et les durs de Pigalle. Fini le code de l’honneur à la Gabin. Avec eux, le roman noir se projetait dans les tortueux méandres de la nouvelle République. L’un traitait son affaire sur le mode ténébreux, et l’autre dans un registre ironique. Impossible après eux d’écrire comme avant. On dit qu’ils avaient pris des leçons chez Chandler ou Hammett. Mais ils n’avaient surtout pas oublié de lire Céline, Michel Audiard et peut-être aussi Paul Morand. Ecriture sèche, efficace comme une rafale bien expédiée. Plus riche en trouvailles et en calembours chez ADG, plus aride chez Manchette.
Né en 1942, mort en 1996, Jean-Patrick Manchette publia en 1971 L'affaire N'Gustro, directement inspirée de l'affaire Ben Barka (opposant marocain enlevé et liquidé en 1965 avec la complicité active du pouvoir et des basses polices). Sa connaissance des milieux gauchistes de sa folle jeunesse accoucha d’un tableau véridique et impitoyable. Féministes freudiennes et nymphos, intellos débiles et militants paumés. Une galerie complète des laissés pour compte de Mai 68, auxquels Manchette ajoutait quelques portraits hilarants de révolutionnaires tropicaux. Le personnage le moins antipathique était le tueur, ancien de l’OAS, qui se foutait complètement des fantasmes de ses complices occasionnels. C’était un cynique plutôt fréquentable, mais il n’était pas de taille face aux grands requins qui tiraient les ficelles. Il fut donc dévoré. Ce premier roman, comme tous ceux qu’écrivit Manchette, était d’un pessimisme intégral. Il y démontait la mécanique du monde réel. Derrière le décor, régnaient les trois divinités de l’époque : le fric, le sexe et le pouvoir.
Au fil de ses propres polars, ADG montra qu’il était lui aussi un auteur au parfum, appréciant les allusions historiques musclées. Tour cela dans un style bien identifiable, charpenté de calembours, écrivant "ouisquie" comme Jacques Perret, l’auteur inoubliable et provisoirement oublié de Bande à part.
Si l’on ne devait lire d’ADG qu’un seul roman, ce serait Pour venger Pépère (Gallimard), un petit chef d’œuvre. Sous une forme ramassée, la palette adégienne y est la plus gouailleuse. Perfection en tout, scénario rond comme un œuf, ironie décapante, brin de poésie légère, irrespect pour les "valeurs" avariées d’une époque corrompue. L’histoire est celle d’une magnifique vengeance qui a pour cadre la Touraine, patrie de l’auteur. On y voit Maître Pascal Delcroix, jeune avocat costaud et désargenté, se lancer dans une petite guerre téméraire contre les puissants barons de la politique locale. Hormis sa belle inconscience, il a pour soutien un copain nommé "Machin", journaliste droitier d’origine russe, passablement porté sur la bouteille, et "droit comme un tirebouchon". On s’initie au passage à la dégustation de quelques crus de Touraine, le petit blanc clair et odorant de Montlouis, ou le Turquant coulant comme velours.
Point de départ, l’assassinat fortuit du grand-père de l’avocat. Un grand-père comme on voudrait tous en avoir, ouvrier retraité et communiste à la mode de 1870, aimant le son du clairon et plus encore la pêche au gardon. Fier et pas dégonflé avec çà, ce qui lui vaut d’être tué par des malfrats dûment protégés. A partir de là on entre dans le vif du sujet, c’est à dire dans le ventre puant d’un système faisandé, face nocturne d’un pays jadis noble et galant, dont une certaine Sophie, blonde et gracieuse jeunes fille, semble comme le dernier jardin ensoleillé. Rien de lugubre pourtant, contrairement aux romans de Manchettes. Au contraire, grâce à une insolence joyeuse et un mépris libérateur.
Au lendemain de sa mort (1er novembre 2004), ADG fit un retour inattendu avec J’ai déjà donné, roman salué par toute la critique. Héritier de quelques siècles de gouaille gauloise, insolente et frondeuse, ADG avait planté entre-temps dans la panse d’une république peu recommandable les banderilles les plus jubilatoires de l’anarchisme de droite.
Article de Dominique Venner, paru dans Le Spectacle du Monde de décembre 2011
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(...) Après avoir été enfant de troupe à l’âge de douze ans et être sorti du système scolaire avec pour seul bagage son BEPC, il débute dans la vie active comme employé de banque, puis exerce les métiers de bouquiniste et de brocanteur : "Étant bouquiniste et lisant mon fonds davantage que le vendant, je n’eus pas de peine à assouvir mes faims de lecteur et la découverte des pamphlets (de Céline évidemment) me secoua rudement ". C’est décidé, il vivra de sa plume et son premier roman intitulé Lettre ouverte à un magistraillon en 1969 résume bien le style où s’entremêle des avalanches de trouvailles argotiques, des calembours et néologismes.
La parodie n’est jamais loin et bouscule les codes habituels du polar. On pense à Audiard, Boudard, ça fleure bon la France des années 70, Paris, le Berry mais surtout sa région natale : Tours, Véretz, Bléré, Francueil, Amboise, La Croix ou Loches (cf. notamment Pour venger pépère). Il signe chacun de ses romans en y insérant une allusion au pamphlétaire Paul-Louis Courier dont le monument commémoratif se trouve sur la place principale de Véretz depuis 1878, et un de ses personnages fétiche, le journaliste alcoolique et anarchisant Sergueï Djerbitskine, alias Machin est en partie inspiré de son ami Serge de Beketch, né à Tours lui aussi.
Cet amour pour sa terre le conduira tout naturellement à la politique… à droite :
"C’était encore notre manie de jouer les Hussards : entre l’élitisme et l’éthylisme, plus très jeunes gens de trente-cinq ans, nous avions choisi le cynisme morbide de ceux qui sont condamnés par la massification. Vilain mot qui commence comme massicot et finit comme dissection mais bref, nous étions de droite rien que pour emmerder le monde qui d’ailleurs s’en fichait".
Il trempa sa plume dans le vitriol pour Minute, le Figaro Littéraire ou Rivarol. Il s’engagera également férocement dans le combat contre l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, où il s’exilera de 1981 à 1991. Cela lui valu d’être le seul auteur de renom de la Série noire à ne pas être réédité lors du cinquantenaire de la collection en 1997. Une marque de plus de la tolérance du parisianisme littéraire… mais comment pourraient-ils accepter ces réponses iconoclastes lors du fameux questionnaire de Proust ?
Tes héroïnes dans la vie réelle ?
— Jeanne d’Arc, sainte Blandine, la duchesse d’Angoulême.
Fait militaire que tu admires le plus ?
— 732 : la bataille de Poitiers.
Tes auteurs favoris en prose ?
— Marcel Aymé, Jacques Perret, Alexandre Dumas, Céline.
Les obsèques d’A.D.G., célébrées le 5 novembre 2004 en l’église Saint-Eugène Sainte-Cécile à Paris – avant son inhumation dans sa terre de Véretz –, ont donné l’occasion de voir réunies diverses personnalités de la "droite nationale", mais aussi Dominique Jamet ou Jean Raspail.
Quand vous passez par Véretz, n’oubliez pas de boire un petit blanc afin de saluer cet homme libre…
Benoit Loeuillet, pour Vox Populi
12:05 Publié dans Blog, Livres - Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alain dreux galloux, a.d.g, littérature, hussards, anars de droite