19/01/2013
Hypatie, vierge martyre des païens.
Dors, ô blanche victime en notre âme profonde,
Dans ton linceul de vierge et ceinte de lotos ;
Dors! l'impure laideur est la reine du monde
Et nous avons perdu le chemin de Paros (…)
Demain, dans mille années,
Dans vingt siècles, — qu'importe au cours des destinées —
L'homme étouffé par vous se dressera (…)
Votre œuvre ira dormir dans l'ombre irrévocable.
Leconte de Lisle (Hypathie et Cyrille, 1885)
Alexandrie, 415. Cinq ans après le sac de Rome, alors que l'Empire s'écroule, l'Égypte vit à l'heure des derniers feux du paganisme antique. L'Occident est acquis à la cause du "Galiléen", l'Orient résiste encore, mais il n'est qu'en sursis. La ville égyptienne abrite une population multiconfessionnelle ; la cohabitation s'avère de plus en plus difficile. Face aux Juifs et aux païens "Hellènes" : les partisans de Jésus, manœuvrés par l'évêque Cyrille, et qui comptent bien se rendre maîtres de la place.
Dans cette atmosphère tendue se dresse Hypatie, la vierge des païens et, si l'on en croit les relations de Socrate le Scolastique (1) et Damaskios (2), l'ultime rempart du paganisme. Son père, prêtre des dieux et scientifique de renom, lui a enseigné la mathématique, l'astrologie et la philosophie. Elle a grandi dans le culte des dieux ; elle sait que tout flanche et agonise autour d'elle ; pourtant, elle se refuse à suivre la théorie des conversions. Un combat sans espoir, perdu d'avance… En cela réside toute sa signification.
Hypathie enseigne la philosophie, elle a le verbe haut mais la grâce l'habite ; tous les témoignages convergent lorsqu'il s'agit d'évoquer sa grande beauté. On a coutume de la représenter au milieu d'un cénacle, le cercle de ses fidèles qui, avec elle, refusent de voir les dieux s'exiler pour céder la place aux religions de l'intolérance.
Les Juifs et les chrétiens s'affrontent à coups d'émeutes et de pogroms sous les regards inquiets d'Hypatie et des siens ; à quand leur tour ?… Il y aussi la lutte d'influence que se livrent Oreste, préfet de la ville, et l'évêque Cyrille. Pour une cause mal définie, le préfet d'Alexandrie aurait fait torturer à mort un chrétien, un provocateur dont les Juifs ont exigé la tête. L'affaire dégénère bientôt et c'est le massacre entre les deux communautés. Cyrille, qui a l'avantage de la supériorité numérique, fait détruire les synagogues et expulser les Juifs. Puis, emporté par son élan, l'évêque harangue ses troupes qui jettent l'anathème sur le représentant de Rome. Oreste cherche alors à se concilier les faveurs d'Hypatie dont l'influence est toujours notoire pour tenter de réduire Cyrille et ses moines fauteurs de troubles. On rapporte aussi que frappé par la beauté de la jeune femme, le préfet d'Alexandrie, bien que baptisé, aurait longuement hésité à s'engager sur le voie du paganisme. Il n'en fit rien.
Lorsque la vierge païenne est prise à partie en pleine ville par la foule chrétienne fanatisée qui l'arrache de sa voiture et la traîne au Caesarium, il ne réagira pas. Sur les marches du temple impérial, Hypatie est « déshabillée, tuée à coups de tessons, mise en pièces… Ses restes sont ensuite promenés dans les rues et brûlés… » (3).
Désormais, Cyrille et Oreste peuvent envisager la réconciliation…
Dans son avant-propos à un ouvrage de Gabriel Trarieux (4), George Clemenceau eut cette phrase : « Hypatie contre Jésus. La Grèce toujours contre sa mère l'Asie, la beauté contre la bonté, fût-il jamais plus passionnante tragédie ? » Passionnantes ou pas, il est des tragédies dont les païens que nous sommes ne peuvent s'accommoder et veulent éviter. Contre l'éradication de la beauté et le règne du lit de Procustre, nous devons montrer notre détermination face à l'intolérance qui règne chez nous et le retour des tabous et des amalgames minables. Nos spécificités, notre religiosité européennes nous ont toujours enseigné de ne pas nous agenouiller, nous encaloter, nous voiler, nous asservir, de privilégier l'amour des libertés pour que s'élève l'être face à ses sensibilités identitaires. Hypatie, la chaste et belle païenne, n'a pas voulu se taire et se prosterner. Elle a montré la voie. Souvenons-nous du culte d'Athénée Poilias qu'elle tenta d'honorer jusqu'au bout et de sa croisade contre le Crucifié.
Bruno Favrit-Verrieux, Combat païen n°11 (déc. 1990).
Texte repris dans : À la recherche des dieux, Bruno Favrit / Dualpha 2006.
>>> http://www.archiveseroe.eu/hypathie-a48391982
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Notes :
(1) Historien religieux ayant vécu à Constantinople (380 - vers 450).
Continuateur de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de Césarée, pour la période s'étendant de 305 à 439. Traduction française : Histoire ecclésiastique VII, Cerf, 2006.
(2) Vie d'Isidore.
(3) Chronique des derniers païens, Pierre Chuvin (Belles Lettres/Fayard, 1990).
D’après Socrate le Scolastique : « Contre elle alors s’arma la jalousie ; comme en effet elle commençait à rencontrer assez souvent Oreste, cela déclencha contre elle une calomnie chez le peuple des chrétiens, selon laquelle elle était bien celle qui empêchait des relations amicales entre Oreste et l’évêque. Et donc des hommes excités, à la tête desquels se trouvait un certain Pierre le lecteur, montent un complot contre elle et guettent Hypatie qui rentrait chez elle : la jetant hors de son siège, ils la traînent à l’église qu’on appelait le Césareum, et l’ayant dépouillée de son vêtement, ils la frappèrent à coups de tessons ; l’ayant systématiquement mise en pièces, ils chargèrent ses membres jusqu’en haut du Cinarôn et les anéantirent par le feu. Ce qui ne fut pas sans porter atteinte à l’image de Cyrille et de l’Eglise d’Alexandrie ; car c’était tout à fait gênant, de la part de ceux qui se réclamaient du Christ que des meurtres, des bagarres et autres actes semblables. Et cela eut lieu la quatrième année de l’épiscopat de Cyrille, la dixième année du règne d’Honorius, la sixième du règne de Théodose, au mois de mars, pendant le Carême. » (ch. XV).
(4) Hypatie in : Cahiers de la quinzaine [Série 5 ; n°13] (Paris, avril 1904).
Hypatia / Charles William Mitchell - 1885
15:50 Publié dans Blog, Philosophie, Rome et Olympie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hypathie, martyrs païens, leconte de lisle, bruno favrit, paganisme
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