08/02/2015
Le Nationalisme Donbassien
Le Nationalisme Donbassien
Par Leonid Savin, le 13 septembre 2014.
Les événements en cours dans le Sud Est de l’Ukraine dévoilent un phénomène extrêmement important. Il s’agit non Seulement l’indicateur d’un front de la lutte géopolitique entre l’Occident et un club de la construction mondiale multipolaire; de la rupture au sein même de la nature de l’Etat ukrainien qui, ces derniers temps, intervient en qualité de satellite et client de Washington et de Bruxelles ; de la croissance de la conscience politique des citoyens (dans le sens où les citadins défendent leurs droits et libertés les armes à la main plutôt que d’être les sujets d’un Etat wébérien faible et incapable de les protéger de l’arbitraire de leurs opposants politiques ni encore de continuer à remplir ses obligations sociales) ; mais aussi la manifestation d’un nouveau nationalisme, unique en ses caractéristiques et objectifs.
Nombreux sont ceux qui ont l’habitude d’envisager le nationalisme selon deux caractéristiques fondamentales, basées l’une sur la culture, y compris la langue (version allemande) et l’autre sur la politique (variante française). Toutefois, le nationalisme a au fond un assortiment d’attributs beaucoup plus large, dans lequel entrent l’ethnicité, la solidarité de groupe, les auto-représentations et identifications. C’est précisément selon cette approche que nous examinerons les processus de désintégration de l’État ukrainien se développant actuellement dans le Sud-est, et que nous identifions comme l’expression du nationalisme donbassien.
Le caractère politique du processus apparaît de façon suffisamment évidente dès lors qu’à Lougansk, à Donetsk, à Slaviansk et dans une série d’autres cités, nous voyons clairement s’incarner la notion de sujet politique. Cette qualité de sujet politique entra dans sa phase active de formation dans la période de conflit tout comme ce fut le cas en Abkhazie et en Ossétie du Sud, lorsque dans le contexte de l’aversion aiguë de la politique extrêmement chauviniste du président géorgien Gamsakhourdia, s’enflammèrent des foyers de résistance et résonnèrent les déclarations d’indépendance vis-à-vis de la Géorgie.
Dans d’autres régions du monde, nous pouvons observer de semblables aspirations à devenir sujet politique. Elles y sont liées au facteur ethnique et connaissent des voies de résolution diverses. Il s’agit en Grande Bretagne des nationalismes irlandais et écossais, et en Espagne des nationalismes basque et catalan. Les partisans de l’unification et de la création d’une nation ukrainienne unitaire passent cela intentionnellement sous silence, malgré que ce soit précisément ces mouvements nationalistes européens qui viennent à l’esprit dès qu’on fait appel à l’idée de nation. Évidemment, l’Ukraine était vouée aux différentes formes d’ethno-nationalisme, du moins si on se place du point de vue de la géographie politique : par comparaison aux autres pays d’Europe, cette ancienne république soviétique est trop grande pour être une seule masse uniforme, homogénéisée en termes de culture nationale, d’histoire et de pratique sociopolitique. Il est clair qu’en dehors du nationalisme artificiel et en grande partie théorique des débordements bandéristes, il existe en Ukraine d’autres formes identitaires, depuis la ruthène à l’extrême Ouest jusqu’à la Slobode et à celle propre à l’empire russe à l’Est.
Selon la typologie, le nationalisme donbassien peut être défini comme étant du type mixte. D’une part il est situationnel, c’est-à-dire doté d’une spécificité constructiviste, à laquelle se sont heurtés les agissements de la junte de Kiev. Mais en outre, il est primordial, c’est-à-dire qu’il dispose de profondes racines historiques et de ce qu’il est convenu d’appeler une connaissance sous-jacente. La déficience de la politique libérale-galicienne des officiels de Kiev au cours des dix dernières années, eut pour conséquence que l’embryon de nationalisme donbassien pu croître et se renforcer, et ce sous différentes variantes, toutes enracinées dans une seule plate-forme globale. Si en son temps l’on eu introduit le fédéralisme, il est possible que l’Ukraine eut échappé à la situation actuelle. Et dans le cadre d’un nationalisme inclusif officiel, à différents niveaux, linguistiques et culturels, il nous serait donné de voir quelque chose de semblable à ce qui existe avec les länder de l’Allemagne et les cantons suisses (nous prenons de telles variantes en considération, compte tenu de l’apparition fréquente du vecteur et du choix européen de l’Ukraine de la part de ses différentes forces politiques au cours des quinze dernières années). Mais ceci ne se produisit pas.
Dans la mesure où des aspects primordiaux se situent le plus souvent dans l’argumentation des mouvements nationalistes (et de libération nationale), il est nécessaire d’examiner en détail toutes les phases historiques qui y sont liées afin de proposer une succession unique de couches, qui peut inclure une mythologie propre, ainsi que la mémoire historique. Une première phase concerne la période protoétatique, lorsque manquait l’expression claire des spécificités de l’Etat moderne, liées à la compréhension de la souveraineté. Nous y décelons toutefois des facteurs intéressants, tels que la présence des Alains (sarmates et scythes) dans la région du Don inférieur, et plus haut, sur la rive gauche du Dniepr et au Nord du littoral de la Mer d’Azov. Ainsi, alors que la Crimée est intégrée dans la sphère du monde hellénique, le Donbass fait partie de la sphère culturelle Alano-sarmatienne.
La deuxième phase, relative à la période des grandes migrations des peuples, témoigne du passage de nombreux peuples à travers le territoire que nous examinons, ainsi que de l’installation de certains d’entre eux dans ce dernier. Outre les slaves arrivèrent des peuples turcophones ; Petchenègues, Torques, Polovtses, Bérendiens, souvent désignés sous l’appellation de « chapeaux noirs ». Le territoire lui-même passa sous l’emprise du Kaghanat Khazar, et ensuite fut intégré dans la Horde d’Or.
Au cours de la troisième phase, la région devint terra nullius, étendue sauvage dépourvue de structure politique claire, contiguë à la périphérie des possessions de différentes puissances (Empire russe, Royaume polonais, Khanat de Crimée et Empire Ottoman) dont les intérêts rivaux pouvaient se traduire en conflits guerriers. Il est opportun de se souvenir du courrier qu’adressa Yvan le Terrible au Khan de Crimée, lui indiquant que les cosaques vivant sur ce territoire et importunant les Tatares n’avaient aucun lien avec l’empire moscovite ; il s’agissait d’un peuple libre. Mais de tels limes ne demeurent pas longtemps autonomes, car les « gros joueurs » ont besoin de contrôler les voies de communication terrestres, fluviales et marines, ainsi que de constituer des zones tampons destinées à protéger la métropole de toute surprise.
C’est ainsi que fut créé la « Nouvelle Russie », quand au cours de la guerre contre l’Empire Ottoman elle s’appropria la région riveraine de la Mer Noire ainsi que des districts plus éloignés. Il est extrêmement important d’observer que la région du Donbass fut influencée par le facteur de croisement des cultures, celles-ci étant toutefois reliées par une identité chrétienne orthodoxe commune : dans les districts actuels de Lougansk et de Donetsk apparut une unité militaro-agricole portant la dénomination de « Slaviano-Serbie », et de même, lors de l’avancée turque dans les Balkans émigrèrent dans la région des Serbes, des Monténégrins et des Valaques (ainsi, une autre unité apparut dans le district de Kirovograd : la « Nouvelle Serbie ».) De fait, sur le territoire de Slaviansk apparurent, plus tôt encore, un détachement de guerriers Monténégrins qui s’installèrent dans la place fortifiée de Tor (La localité d’Ostrojets apparut à cet endroit en 1637). Nous observons en ce nom de lieu une connotation intéressante. L’homme de sciences norvégien, grand voyageur et explorateur, Thor Heyerdahl, alors qu’il tentait de remonter aux sources de la mythologie scandinave, parvint à la conclusion que la divinité suprême du panthéon païen, Odin, fut un personnage historique, chef d’une peuplade, qui remonta du Don inférieur jusqu’au Nord de l’Europe. Comme nous le savons, Odin comptait dans sa suite Thor, porteur du foudre, et concerné directement par la guerre et les pratiques guerrières. Thor sacrifia son bras afin que les dieux trompent la ruse du loup Fenrir, incarnation du mal dans la mythologie scandinave.
La phase suivante fut l’unification territoriale et politique par l’Empire de Russie, à travers la constitution de la Terre (plus tard « Oblast ») de l’Armée du Don. Ici se combinent les facteurs cosaque et religieux. La majorité des cosaques rejeta les réformes du Patriarche Nikon et s’en tinrent à la « vieille foi ». A cette phase succéda la période de la révolution d’octobre, marquée par la tentative de création de la République de la Grande Armée du Don, de Donetsk et Krivoï Rog. Toutefois, le territoire fut intégré aux composantes de l’Ukraine.
Ensuite vient l’époque de la modernisation stalinienne, au cours de laquelle un flot de nouveaux arrivants contribua à établir l’industrie régionale. Il est clair que le caractère travailleur et les exploits héroïques des mineurs et des métallurgistes, par opposition aux figures laborieuses des marchands et des politiciens (la crypto-bourgeoisie) exerça également une influence dans le processus profond de prise de conscience de l’identité « donbassienne ». Cette phase se prolonge organiquement dans la période postsoviétique, au cours de laquelle on pu entendre de la bouche même des habitants de la région l’expression « nous somme du Donbass » plutôt que d’évoqué toute notion d’appartenance au territoire ukrainien dans son ensemble.
Le facteur industrie minière prit également une signification déterminante dans la formation de la vision du monde propre aux habitants du Donbass. Le métier de mineur est dangereux. Souvent la mort est au rendez-vous, pour une personne, ou pour un groupe d’entre elles.
Une perception de la mort et une relation à celle-ci, toutes particulières, se sont développées, étrangères aux habitants de Polésie ou de Lvov. Les nationalistes de Lvov préfèrent à la mort l’évasion vers l’ « Europe des Lumières » ou vers une nouvelle patrie, comme le Canada, ou la Chicago nord-américaine. C’est ce que firent leurs prédécesseurs après qu’ils eurent décidé de se joindre à la lutte de la CIA contre l’Union soviétique. Au Donbass, les résistants actuels témoignent d’un esprit élevé et passionné propre aux habitants de la région.
En 1991, à l’appel de Kravtchouk, l’intelligentsia (y compris la diaspora) s’impliquèrent dans le processus de formation d’un nouvel État ukrainien. La construction d’une semblait extraordinaire, telle l’élaboration d’un mythe, narrant les grands ancêtres, les « ukrainopithèques », les ariens. Il fallait fixer les fondements d’une primordialité de l’idéologie ukrainienne. Cela s’apparentait plutôt au délire intense et aux hallucinations d’esprits malades qu’à l’investigation scientifique et à un programme devant présider à la naissance de nouvelles élites de l’État et à l’éducation dans un esprit de patriotisme. Le nationalisme bandérovien est par nature exclusif, et les contradictions internes au nationalisme ukrainien, sévissant entre autres parmi une série d’idéologues du vingtième siècle, exerce plus une fonction répulsive qu’attractive (de telles contradictions sont habituellement bien dissimulées dans les rangs des intellectuels nationalistes actuels, bien que dans leur grande majorité ils soient loin de disposer des connaissances théoriques de Dontsov, Lipa, Stetsko, Mikhnovski et d’autres apologistes du nationalisme ukrainien).
En outre, il convient de remarquer que la région du Donbass n’a pas soutenu l’expansion grec-catholique dont a dû souffrir l’Ukraine Occidentale. Ainsi, c’est à l’Église orthodoxe russe du Patriarcat de Moscou que revient la position dominante. Quelques poignées d’hérétiques se proclamant fidèles au Patriarcat de Kiev (les philarétiens), certaines extensions tardives de l’uniatisme et différents courants protestants ne jouent aucun rôle significatif dans la formation de l’état d’esprit dans les oblast de Lougansk et de Donetsk, où ces adeptes et leurs prédicateurs suscitent l’aversion.
En somme nous observons l’apparition d’un phénomène nouveau, unique et intéressant : le nationalisme donbassien. En même temps, il se manifeste en tant que partie intrinsèque d’un nationalisme russe plus vaste, car sa structure est mise en œuvre sur les mêmes fondements que le nationalisme russe, celui-ci exerçant une fonction de coupole, et en tant que lien avec la Russie, tout particulièrement dans les districts du Sud, historiquement liés au Donbass. Et, indépendamment de l’issue de la guerre qui sévit actuellement entre Don et Dniepr, il est évident que le nationalisme donbassien s’intègre organiquement dans le monde russe de l’Eurasie.
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22/02/2013
Patriotisme Européen, par Marcel Déat.
Patriotisme Européen
Marcel Déat
Extraits tirés d’un texte (toujours d’actualité !) publié dans « La Jeune Europe ( Revue des combattants de la jeunesse universitaire européenne ) », cahier 3/4, 1942.
Je le dis tout net : si cette guerre ne contenait pas la promesse de l’unité européenne, si ce prodigieux conflit n’était pas en même temps la grande révolution des temps modernes, et si l’Allemagne nationale-socialiste n’était pas à la fois la conductrice et la garante de nos espoirs révolutionnaires, je ne vois pas pourquoi je serais « collaborationniste ». Sinon pour combiner, vaille que vaille, un sauvetage français, sous le signe de « l’égoïsme sacré », quitte à poignarder dans le dos mon partenaire, si l’occasion venait à s’offrir.
Et quiconque n’est pas socialiste autant que national, européen autant que français, doit en effet s’établir sur ces positions et ne plus en bouger. C’est bien ce que nous constatons, depuis un an, quels que soient les discours. Je ne crois pas qu’il y ait désormais une confusion possible entre cette attitude et la nôtre. Et je me suis permis d’indiquer que les conséquences, pour la patrie, étaient autrement fécondes, autrement riches, si l’on consentait enfin à se jeter, corps et âme, dans la bataille européenne, et sans regarder derrière soi.
Mais l’incompréhension engendre trop facilement la calomnie, et la sottise est trop près du dénigrement, pour que nous n’éclairions pas en plein certaines idées. On a assez accusé de chimère le vieux socialisme, quand il évoquait l’Europe, quand il s’enivrait d’universalisme, pour qu’on ne manque pas de reprocher au nouveau socialisme un identique irréalisme. Comme si, selon la juste remarque de Jacques Chardonne, l’Allemagne d’aujourd’hui n’était pas merveilleusement différente de celle d’avant-hier.
Comme si le rassemblement des révolutionnaires européens avait désormais à voir avec les palabres des congrès internationaux.
Il ne s’agit plus de prononcer des discours solennels, de pontifier sur des tribunes, d’ergoter sur des résolutions, de formuler des dogmes avec l’autorité qui s’attache aux conciles. Il s’agit de combattre, d’abord, et ensuite de bâtir. De combattre les armes à la main, sur d’immenses champs de bataille, avec le risque que cela comporte. De combattre aussi dans les bagarres civiques, d’y risquer pareillement sa vie, et bien plus encore, sa tranquillité, sa réputation, son pain, son honneur. Et ce ne sera pas trop de tous ces sacrifices pour aider à l’accouchement d’un monde.
Fort bien, diront nos sages. Mais pourquoi cette fuite vers l’Europe, alors que la patrie est pantelante et requiert l’effort de tous ?
Mais qui parle de fuite ? Et qu’est-ce donc que l’Europe, sinon l’ensemble des patries ? Et où veut-on que nous servions l’Europe, sinon chez nous, sinon en France, sinon par la France et pour la France ? Il n’y a pas une terre européennne, indivise et neutre, où nous puissions planter indifféremment notre tente. Il y a une France, qui est en Europe, qui est un élément nécessaire de l’Europe. Et les deux réalités ne se séparent point.
Ce qui est vrai, c’est qu’en effet nous refusons « l’égoïsme sacré ». Que nous n’acceptons pas le refrain maurrassien sur « la France, la France seule ». Parce que cela n’a pas de sens, ou bien signifie qu’on se dresse contre l’unité continentale, qu’on la refuse, et que, sournoisement, on espère retrouver, au delà des mers, les anglo-saxons et leur capitalisme. Car, il faut bien rire, nos super-patriotes, qui repoussent si noblement l’impur contact germanique, ont la passion d’être à nouveau asservis aux seigneurs de la City et de Wall Street.
Et bien ! oui, nous commençons à avoir un patriotisme européen, une sensibilité européenne.
(…)
L’expérience a prouvé qu’une bigarrure de nations théoriquement assemblées à Genêve ne faisait pas une Europe. Il n’y a d’unité que dans une solidarité totale de la vie matérielle, et dans la similitude essentielle des institutions. La guerre, la révolution, sont en train de brasser les peuples et d’unifier les tendances, de rendre convergentes les aspirations politiques et sociales. Et c’est une triste chimère que d’espérer une unité française en dehors de ce passage au creuset de la révolution.
Qu’on nous laisse tranquille avec les propos abstraits et les poncifs officiels sur l’unité française : il y a une réalité française que rien n’entamera. (…) Il y a un trésor français que l’histoire nous lègue et qui jamais ne sera perdu. Mais la France dont l’Europe à besoin, la France sans laquelle il n’y aura plus vraiment de nation française, doit avoir une autre température, elle doit brûler d’une autre flamme. Un certain patriotisme d’image d’Epinal ne la gardera pas des effritements et des affaissements internes. Et si une grande passion ne la saisit pas, si une ardente mystique collective ne s’empare pas d’elle, ne la porte pas vers son vrai destin, il ne lui restera que la force misérable et désordonnée qui se disperse et s’épuise en déchirements.
Je prie pour que nos politique y songent : l’élan vers l’Europe sauvera la France de plus d’une manière, même en l’arrachant à ce qu’elle prend orgueilleusement pour une solitude, à un narcissisme ridicule et désespéré, à un radotage de vieillards au coin du feu. La révolution fait l’Europe, la révolution refait la France, la révolution concilie l’Europe et la France.
Marcel Déat / 1942.
Quelques exemplaires de « La Jeune Europe », retrouvés en faisant un peu de rangement.
Une véritable mine d’excellents textes, tous très rares… dont nous vous offrirons régulièrement quelques pépites, le temps pour nous de les relire, trier et (surtout) taper.
11:02 Publié dans Blog, Histoire de France, Histoire européenne, Politique / économie, Soleil Noir | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : patriotisme européen, marcel déat, europe, france, nationalisme, européanisme, identité européenne